200e anniversaire de la création de Nova Friburgo

C’est le 16 mai 1818 qu’un traité a été ratifié par le Roi du Portugal, Joao VI,  et un chargé de mission du gouvernement fribourgeois, M. Gachet.  Deux cents ans plus tard, à Nova Friburgo, l’association  « Nova Friburgo » et sa consoeur brésilienne ont mis  sur pied différentes manifestations de grande ampleur, notamment un cortège

allégorique qui a duré pas moins de 4 heures.

Les autorités fribourgeoises se sont vraiment investies dans cet anniversaire puisque ce ne sont pas moins de 180 personnes qui ont fait le voyage à Nova Friburgo.  Plusieurs groupes folkloriques et la fanfare du Collège Saint-Michel ont apporté une touche fribourgeoise fort appréciée de la population brésilienne.  En plus des autorités gouvernementales et parlementaires, le président fribourgeois du Conseil national de Buman s’est également joint à l’événement. Pour sa part, le canton du Jura était officiellement représenté par le Président du gouvernement, David Eray.

Les familles jurassiennes

Le cortège a naturellement permis aux familles migrantes de défiler et il s’agit ici de relever que celles d’origine jurassienne ont été dignement représentées. Ce n’est pas sans surprise que nous avons appris que quelques familles ont connu une prolifération exceptionnelle. Prenons 3 familles. Tout d’abord les Boéchat de Miécourt, un couple et 8 enfants ont émigré en 1819. Aujourd’hui ce sont plusieurs milliers de Boéchat qui vivent au Brésil, souvent ils occupent des postes « importants », comme Ricardo, présentateur vedette à la TV. Nous avons aussi fait la connaissance de Neio Boéchat et de ses sœurs qui sont médecins et parlent bien le français. On dit qu’il y a plus de Boéchat au Brésil qu’en Suisse !

Autre famille, les Monnerat de Cornol. Pour le grand voyage au Brésil, les parents étaient avec leurs 7 gosses de 4 à 17 ans. Le cas des Monnerat est exemplaire : au vu des conditions difficiles rencontrées sur le site de Nova Friburgo, ils ont choisi de s’établir à Duos Barras pour notamment cultiver le café. Un hameau porte le nom familial et des descendants des immigrés y demeurent encore. Nous avons pu constater que la famille Monnerat était bien établie puisque plusieurs entreprises portent ce nom de famille dans la région de Rio de Janeiro. Finalement c’est une autre famille de Cornol qui est dignement présentée à Nova Friburgo, les Sanglard. Ils n’étaient que 6 à émigrer, mais aujourd’hui encore ils sont plusieurs milliers au Brésil. Au cours de notre séjour à Nova Friburgo, nous avons pu côtoyer des descendants de nombreuses familles, fribourgeoises certes, mais aussi lucernoises comme les Thürler qui possèdent une grande usine à Nova.

A ce jour, Nova Friburgo compte 200’000 habitants ; selon les informations reçues, il y en aurait 70’000 qui revendiquent une ascendance suisse. A vérifier ! Afin de relativiser ces données, il faut ajouter que la migration suisse vers le Brésil et Nova Friburgo n’a pas eu lieu qu’en 1819. En effet, tout au cours du 19e et une partie du 20è siècles, les Européens, dont nombre de Suisses, ont choisi de s’expatrier et de renforcer les colonies existantes, en Amérique du Nord et du Sud.

Pour le Jura, un cas est intéressant : l’une des plus grandes créatrices brésiliennes du XXe siècle, Lygia Pape. Née à Nova Friburgo en 1929, elle est décédée en 2004. Son nom ne peut pas être autre que jurassien, sans doute de Pleigne. Pour les amateurs d’art, elle était exposée à la dernière Biennale de Lyon. Elle faisait partie d’une tendance avant-gardiste au Brésil.

Pourquoi émigrer ?

Les années 1816 et 1817 avaient été dramatiques pour  la population de l’hémisphère nord. Le volcan Tambora , situé près de Bali en Indonésie, avait, en avril 1815, craché des milliers de mètres cube de soufre, pour d’une part, tué 100’000 personnes environ, et formé un nuage à 40 km d’altitude qui s’est ensuite dirigé vers l’hémisphère nord. 1816 et 1817 sont dénommées « les années sans été ». En Suisse, il neigeait toute l’année et les récoltes étaient négligeables.

L’offre du roi du Portugal de faire venir des Suisses tombait bien. Les gouvernements fribourgeois et bernois voulaient profiter de l’occasion pour se défaire d’une tranche de la population pauvre, sans domicile fixe, les Heimatlos, mais aussi se séparer de cas sociaux et de repris de justice. Mais la volonté de faire fortune  en  Amérique fut aussi une motivation pour certains d’émigrer au Brésil. Le Roi du Portugal, en guerre contre l’Angleterre, ne voulait pas de protestants. Pourtant Gachet avait réussi à en intégrer des sur les bateaux… profit oblige !

Le voyage

C’est le 4 juillet 1819 que 830 Fribourgeois embarquaient à Estavayer pour prendre la direction de Bâle, puis de Rotterdam avant de traverser l’Atlantique. Le dénommé Gachet avait aussi convaincu quelques gouvernements cantonaux et des ressortissants individuels de favoriser l’émigration vers le Brésil. Tant et si bien qu’ils furent environ 2000 à quitter la Suisse, parmi lesquels 500 Bernois –dont une grande majorité de Jurassiens du canton actuel-, 160 Valaisans, 143 Argoviens, 118 Soleurois, 90 Vaudois, 17 Schwyzois, 5 Neuchâtelois et 3 Genevois.

Après bien des tergiversations à Bâle, les migrants ont descendu le Rhin jusqu’à Rotterdam où ils on été parqués dans des conditions abominables de juillet à octobre 2019 pour certains.  Des maladies liées à la salubrité des lieux ont déjà touché plusieurs centaines de migrants. Le « passeur » Gachet cherchait alors des bateaux et de la nourriture bon marché. Durant la traversée de l’Atlantique, les conditions étaient dures et la mort frappait les plus faibles.

Finalement sur les 2000 migrants, ils devaient être environ 1600 à arriver à Nova Friburgo où ils trouvèrent des conditions d’accueil minimales. De plus les terres n’étaient pas de bonne qualité ; de ce fait la plupart des Suisso-brésiliens –ils avaient dû renoncer à la nationalité suisse- s’en allèrent à quelques dizaines de kilomètres plus loin pour cultiver le café. Esclavage oblige, ils possédaient une main d’œuvre bon marché. En 1830 ne restaient que 632 habitants à Nova Friburgo. Une forte colonie allemande s’y est ensuite implantée et la ville a connu un développement époustouflant… avec 200’000 habitants en 2018.

La remarquable thèse de M. Nicoulin, « La Genèse de Nova Friburgo », approfondit cette histoire avec détails, qui permet de réfléchir à ce qui se passe aujourd’hui avec les migrants. Le climat joue un rôle primordial dans les migrations, en 1816, comme en 2018, la famine, en Europe ou en Afrique subsaharienne, pousse les gens à fuir et à chercher une survie –parfois hypothétique- sous d’autres cieux. A toutes les époques, il y a des profiteurs, les passeurs, qui se remplissent les poches sur le dos de pauvres hères. Au XXIè siècle, beaucoup de Suisses ont oublié que leur pays n’a pas toujours été une terre de paix, de prospérité et de bien-être. Les migrants suisses ont souvent pris le chemin de l’Amérique pour fuir la vie difficile qui leur était proposée au centre de l’Europe. Ils ont fondé des villes aux Etats-Unis, qui portent des noms significatifs, comme New Bern, New Glaris, etc. Les uns s’en sont bien sortis, d’autres ont fait fortune, mais beaucoup de migrants ont perdu la vie, en voyage, ou rongé par des maladies ou tué par des indigènes qui défendaient leurs terres. Oui… pas mal de ressemblances avec ce qui se passe aujourd’hui en Méditerranée !

Jean-Daniel Tschan

Le Noirmont / Nova Friburgo     

Credit photo : @ wikiwand.com

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